Frédéric Mistral
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Musique : Concerto pour violon en mi mineur opus 64 (1er mouvement – allegro) – Félix Mendelssohn (1809-1847)
1901 première entrevue d’Emile RIPERT avec Frédéric MISTRAL : « Lire Mistral, c’était bien, mais lui écrire et l’aller voir, c’était bien mieux. Je commençais par écrire et par bien me présenter, je le fis en vers…hélas ! mais en vers français, dans un poème en l’honneur de Mireio sur le rythme même de Mistral, la strophe de sept vers si difficile à manier en français. Je n’y réussis sans doute pas trop mal, car Mistral me répondit. On sait du reste qu’il répondait à tout et à tous, ayant pris cette habitude charitable en souvenir du chagrin qu’il avait éprouvé du silence dédaigneux de Jasmin, auquel à quinze ans il avait envoyé une « piécette admirative ». Mais encore y avait-il des nuances dans les lettres de Mistral ; celle qu’il m’adressait était fort encourageante et elle se terminait par une suggestion intéressante :
Encouragé par cette jolie lettre et cette marque de confiance que me donnait le grand poète en me livrant, à moi, pauvret, une strophe encore inédite, je décidais d’aller à Maillane et de mettre pour ce voyage à profit les vacances de Pâques. Ce que me fut ce voyage, les émotions qu’il suscita dans mon âme, les espérances qu’il y ouvrit, je l’ai dit en vers dans un long poème intitulé justement « Pèlerinage à Maillane ». C’étaient bien les sentiments du pèlerin dont j’étais animé, une ferveur, une candeur, l’admiration naïve d’une âme de vingt ans, c’était alors mon âge exact, j’allais par le train de Tarascon, à la gare de Graveson, petit trajet, et là, soit qu’il n’y ait pas de diligence à ce train pour Maillane, soit que je l’eusse laissée de côté, pour avoir plus de mérite, pour mieux voir le paysage ou pour ne pas arriver trop tôt, je m’acheminai à pied ; je saluai à la croisée des chemins l’auberge du Petit Saint Jean, dont la belle servante avait été chantée par l’ardent Aubanel, puis je pris le chemin encore blanc à cette date, sous les platanes frais du premier printemps, qui menait à Maillane. C’était le début d’Avril, les champs étaient en fleurs, temps vraiment pascal, doux, lumineux et tendre.
Je poussai la grille toujours ouverte, contournai la maison, entendis aboyer les chiens qui se précipitaient vers moi, et soudain les rappelant de la voix et du geste, je vis paraître sur le seuil le Poète majestueux et familier, tel que je l’avais rêvé. Je me présentais ; Mistral voulait bien se souvenir de mon poème et de la lettre qu’il m’avait répondue.
C’est ainsi qu’Emile devint le disciple de Mistral avec lequel il entretiendra des relations d’amitié de 1901 jusqu’à sa mort en 1914.
J’ai reçu bien des lettres de Mistral que je garde pieusement ; il m’y donnait sur ses débuts des détails précieux avec la plus ferme sûreté de mémoire et les écrivait de façon aussi nette que dans ses premières années. La dernière visite que je fis à Maillane doit se placer vers l’automne de 1912 ; je me rappelle un décor de feuilles jaunissantes, et la nuit qui tombait sur la place où Mistral me raccompagnait jusqu’à la diligence. Elle partait dans un fracas de sabots et de grelots, de claquements de fouet. Le grand poète me fit de la main un signe de bon voyage, qui devait être un signe d’adieu.
Sans échelle, au Paradis en effet, voici que quinze jours après il montait, le 25 mars, jour de l’Annonciation de la Vierge. Et depuis je n’ai plus rien reçu de lui, si ce n’est le sentiment parfois de sa présence immortelle et de sa paternelle protection.
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