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MIREILLE, MES AMOURS… 1930

MIREILLE et Charles GOUNOD

Mirèio un bèu matin cantavo
M. Gounod que l’escoutavo
Aprenguè sa cansoun de cor.
E desempièi canton d’accord

Mireille un beau matin chantait
M. Gounod que l’écoutait
Retint sa chanson par cœur
Et depuis ils chantent d’accord
F. Mistral


Charles GOUNOD
1818-1893
…/…
On peut voir dans le livre de Jules Charles-Roux comment Gounod composa Mireille, on peut y suivre à travers ses lettres et ses carnets l’idée et la genèse de son opéra.
C’est au début de l’année 1863 qu’il en eut l’idée; il la soumit aussitôt à Mistral. Comment celui-ci n’aurait-il pas été flatté du choix que faisait de son oeuvre un musicien déjà illustre? Il donna son adhésion au projet avant même de le connaître et quand il connut le plan de Michel Carré, il l’approuva tout de suite et de fait, tel qu’il était exposé dans la lettre que Gounod adressait à Mistral, le 17 février 1863, ce plan n’avait rien que de correct et de satisfaisant; en s’excusant sur les nécessités du théâtre d’avoir supprimé bien des épisodes du poème, Gounod ajoutait du moins:
Le plus respectueux scrupule et la plus consciencieuse fidélité ont présidé à notre travail; il n’y a dans notre opéra que du Mistral et si nous avons le regret de ne point étaler sous les yeux du public la grappe entière dans toute sa splendeur, du moins pas un grain étranger ne vient-il se mêler à ceux que nous avons cueillis et nous avons tâché que ce fussent les plus dorés.

Et pour montrer sa bonne volonté, il demandait à Mistral de lui communiquer des airs populaires de Provence et surtout les airs de farandole. Mistral lui répondait, le 25 février 1863, une lettre courte et charmante:
Cher Monsieur, je suis ravi que ma fillette vous ait plu et encore vous ne l’avez vue que dans mes vers; mais venez à Arles, à Avignon, à Saint-Rémy, venez la voir le dimanche quand elle sort des vêpres et devant cette beauté, cette lumière, cette grâce, vous comprendrez combien il est facile et charmant de cueillir par ici des pages poétiques; cela veut dire, Maître, que la Provence et moi vous attendons au mois d’avril prochain. Votre poète, Frédéric a Mistral.



La cour du mas du Juge


La plaine de Maillane
vue de la fenêtre de Mistral au mas du Juge

Gounod va suivre ce conseil et, écartant l’idée bizarre qu’il avait eue un instant d’aller se fixer à Némi, aux environs de Rome, pour écrire sa partition, il prend le parti d’aller enfin voir Mistral à Maillane. Le 18 mars, il écrit de Maillane à sa femme:
Je le tiens enfin, ce beau et bon Mistral tant rêvé, tant cherché et tant désiré, Maillane! Un jour Maillane voudra dire Mistral comme les Charmettes ou Vevey veulent dire Jean-Jacques. J’arrive donc à Maillane. Je salue cette humble petite maison, le berceau de Mireille. Nous causons pendant qu’on prépare le déjeuner; nous déjeunons; Mireille, comme tu le devines, fait les frais de la conversation. Je trouve dans Mistral tout ce que j’y attendais, le poète dans le berger antique, dans l’homme de la nature, dans l’homme de la campagne et du ciel. Mistral me propose un plan que j’accepte, à savoir: une excursion après déjeûner à Saint-Rémy, avec projet d’y coucher pour aller demain matin dans la montagne visiter le village des Baux, l’un des points principaux de Mireille et d’où l’on domine toute la Crau jusqu’à la mer. Nous partons après le déjeuner, à pied… Nous traversons des montagnes superbes par un temps splendide; chemin faisant, je lis à Mistral tout mon libretto! Il en est ému, il pleure comme un enfant; il est ravi. A quatre heures et demie, nous arrivons à Saint- Rémy…
A un quart de lieue de là, des Antiquités romaines, des carrières de pierres, un aspect tellement fantastique, qu’on en ferait un magnifique décor…

Et encore, un peu plus loin:
Le pays que nous venons de parcourir et où nous venons de coucher est une merveille de sauvagerie, les rochers n’y font qu’un avec les ruines du moyen âge et de la féodalité.
J’ai traversé hier le Val d’Enfer et j’ai vu une issue du Trou des Fées, où Mistral parle du séjour de Taven… Du haut des rochers des Baux, on découvre l’immense plaine de la Crau et la Camargue, c’est un panorama encore plus vaste que celui de la campagne de Rome et d’une austérité terrible.

Gounod songe un instant à loger chez Mistral, mais la mère du poète est âgée et pour ne pas la fatiguer, il se fixe à Saint-Rémy, à l’hôtel Ville-Verte, où il vient habiter le lundi 23 mars, guidé par l’organiste de Saint-Rémy, M. Iltis, et sous le nom de M. Pépin, dit Pépin le Bref, parce qu’il parle peu. Il va y rester deux mois, deux mois de paix suave, de travail, de pure contemplation dans l’enivrement du printemps. Quand il quittera Saint-Rémy, son opéra sera à peu près achevé. Il écrit à sa femme pour lui faire part de ses extases:
Il y a une demi-heure, dit-il, à trois heures et demie, je quittais l’admirable vallon de Saint-Clerc; je viens d’y passer près de trois heures dans un enchantement de solitude. Pas une créature n’a traversé le vallon pendant ces trois heures. J’y suis resté dans un petit coin de bois de pins jeunes à l’ombre, avec mon poème, au milieu des senteurs de toute espèce, retenant parfois ma respiration, le seul bruit humain que j’entendis, pour mieux entendre, au sein de ce silence de la nature, le concert mystérieux de ces milliers de petits êtres qui peuplent l’air et le sol et dont le bourdonnement ininterrompu tremble à l’oreille, comme l’atmosphère tremble aux yeux par un jour de chaleur.

Il faut lire au carnet intime de Gounod les notations de ses extases musicales sur le plateau des Antiques ou dans ce vallon de Saint-Clerc, il faut y suivre, au jour le jour, l’élaboration de cette partition sincère et pure par laquelle Gounod essayait d’égaler le poème de Mistral.

 

Ce n’est pas tout;
il veut aller aux Saintes-Maries;
il va s’embarquer en Arles,
sur le petit Rhône et, le descendant
à travers la Camargue,
il chemine ensuite à pied,
jusqu’à l’église,
le jour même du pèlerinage;
son âme de croyant se dilate
dans cette pure atmosphère d’Evangile
et de miracle: il note sur son carnet :

Après Vêpres. Magnificat. Changement d’aspect instantané et saisissant! La fenêtre de la chapelle supérieure s’ouvre au moment où on entonne le Magnificat. Cris de l’assistance:
— Vivent les Saintes Maries!
En un instant, l’église ruisselle de lumière, les deux autels du choeur, les trois tribunes, la nef combles de pèlerins, dont chacun tient un petit cierge, brillent d’un éclat soudain; tout le monde se lève; les châsses s’avancent en dehors de la fenêtre et descendent dans l’église, à l’aide de deux grands câbles ornés d’une quantité de dons; c’est à ce moment, et sur la fin du Magnificat, que commence l’émouvant spectacle de cette ardente confiance populaire, une pauvre mère élève vers les Saintes son enfant malade et semble comme monter à l’assaut sur la table destinée à supporter pendant vingt-quatre heures les châsses exposées à la vénération des pèlerins. Rien ne peut donner l’idée de ce qui se passe alors autour d’elles; il faut
l’avoir vu et entendu. Un père apporte son fils moribond, un fils son vieux père paralytique; on ressent tout ce qu’éprouvent ces pauvres suppliants, on se trouve transporté à la femme de l’Evangile disant:
— Si je peux seulement toucher la frange de son vêtement, je serai guérie! ”
Tout cela est absurde… ou sublime; absurde à éplucher, sublime à éprouver!

Il écrit à sa femme dans le même sens:
Nous avons été ravis de notre excursion, l’église, le site, l’isolement, les curieux documents que le curé de l’endroit a mis à notre disposition et dans lesquels j’ai pu recueillir quelques traits de naïve poésie et d’expressions primitives, tout cela nous a vivement intéressés et touchés. Ajoute à cela que j’ai eu le bonheur d’entendre la messe et de communier et tu auras le résumé de
mes impressions de là-bas… Il m’a été très utile de voir; j’ai visité et en quelque sorte palpé par les pieds cette terrasse de la chapelle supérieure, terrasse du haut de laquelle Mireille expirante plonge ses derniers regards sur cette admirable mer dont l’horizon lui semble le chemin du ciel; il y a dans le mélange de cette situation dramatique et de cet aspect une grandeur légendaire qui émeut profondément, c’est un beau dernier tableau de dernier acte et quand on voit ces deux choses à la fois, je t’assure qu’on n’a plus envie de faire revivre Mireille que parmi les anges.

On voit donc quelle fut la sincérité entière de Gounod composant son opéra et son souci de la documentation exacte; …/…

MIREILLE, MES AMOURS…
Extrait Chapitre V – La gloire de Mireille
Emile Ripert 1930


Buste de Gounod à Saint-Rémy

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