Ces pages, que je rassemble aujourd’hui, si elles devaient être une évocation complète de la Catalogne française, je sens avec humilité à quel point elles seraient insuffisantes. De ce beau pays vermeil, où l’Espagne et la France mélangent leurs couleurs et leurs races, ce sont ici quelques tableaux seulement, quelques images, diverses comme la vie elle-même, recueillies çà et là au court d’un séjour trop rapide, et c’est aussi bien un chant de reconnaissance à la louange du sol et du ciel lumineux, qui ont formé le grand esprit lucide, auquel la barbarie allemande a heurté sur la Marne sa formidable machine de guerre.
Oui, désormais, quel que soit l’intérêt et la grandeur des souvenirs qui s’élèvent encore de tous côtés, dès qu’on parcourt ce sol marqué par tant de peuples, une image cependant domine, impérieuse, toutes les autres, auréolées déjà d’une légende, c’est celle du calme vainqueur, auquel l’Académie Française vient de rendre un juste hommage, puisque en sauvant l’indépendance de la France, il en a sauvé également la langue et par conséquent toute la littérature qui va s’épanouir demain.
C’est à lui que j’aurais voulu dédier ces pages, mais je crains que leur fantaisie poétique ne fasse parfois froncer des sourcils austères sur ces yeux qui ont vu la ruée du monstre et qui, pour le contenir, en ont mesuré l’élan, sur ces yeux pensifs qui ont vu aussi en parcourant les champs de bataille, à quel prix s’achète, hélas ! la plus noble et la plus juste des victoires. Alors, pour que ces pages arrivent tout de même à leur véritable adresse, je prendrai le plus charmant des intermédiaires, et c’est vous que j’évoquerai, filles du Roussillon, dont les bonnets de tulle blanc emprisonnent dans leur fin réseau des cheveux sombres comme un velours d’Espagne ou roux comme vos champs de vignes à l’automne, vous, dont les groupes balancés vont et viennent le soir sous les grands platanes, en chantant quelque vieille chanson catalane, vous qui roulez dans votre voix musicale la fraîcheur murmurante des eaux des Pyrénées, vous qui, rieuses et sérieuses, unissez sur vos figures mates aux yeux étincelants toute la clarté de votre ciel à l’austère souci des labeurs de la terre, et c’est à vous que je les dédie, ces humbles pages, écrites par ce passant inconnu qui vous admirait et qui vous aimait sans vous le dire, c’est à vous que je les dédie, en songeant qu’une de vos pareilles, aux champs de Rivesaltes, fut la mère jadis du petit Joffre…
Emile Ripert Mars 1918. |