Jeanne de Flandreysy |
extraits » les poètes que j’ai connus » : Pour garder à ces archives de l’image un cadre digne d’elles, qui les gardât en ordre, mais aussi en ferveur et en beauté, Jeanne de Flandreysy après avoir racheté le Palais du Roure, au cœur d’Avignon, où les papes ont soixante et dix ans régné par l’Esprit, a restauré l’hôtel, qui menaçait ruine, de la noble famille des Baroncelli. Elle en a purifié les aîtres, supprimé les ajouts disparates, tout rétabli dans son équilibre premier. Dans ce cadre ainsi remis en beauté, elle a su réunir livres, tableaux, eaux-fortes, fusains, souvenirs, gravures, lettres autographes de grands poètes et notamment de Mistral qui, grâce à elle, ajoutera un jour à toutes ses gloires celle de grand épistolier. De cette œuvre immense, seule la Postérité pourra rendre Louange à cette Notre Dame des archives latines. Cher Roure, dont j’ai vu, année par année, se dessiner le vrai visage ! J’entends les scies découper les pierres ou le bois, les marteaux enfoncer les clous et les chevilles, je vois les murs s’orner de prestigieux dessins, de souvenirs émouvants, des ombres passer au long des salles, enveloppées dans leurs méditations, Henri de Groux, Louis le Cardonnel, Emile Espérandieu et tant d’autres, poètes, savants, artistes, tous apportant là quelque chose d’eux-mêmes, mais emportant quelque chose aussi, un conseil, un réconfort, un talisman, le bienfait spirituel de cette rigueur, de cette discipline exigeante et de cet enthousiasme aussi, « flamme dans du cristal », selon le mot de Louis le Cardonnel, feu ordonné qui éclaire sans brûler, quand tant d’autres brûlent sans éclairer. C’est au Roure que Jeanne de Flandreysy a extrait des graviers et des boues de l’Histoire, que charrie le grand fleuve gallo-romain, les paillettes d’or qu’elle fait luire à nos regards.
Elle m’invita à venir la voir dans son appartement de la rue de Chaillot, très joliment orné de souvenirs provençaux. Elle avait alors de fort belles relations littéraires, écrivait au Figaro, assurait par ses ouvrages provençaux le secrétariat littéraire de Jules Charles-Roux, député de Marseille et président de la Compagnie Transatlantique, qui, très attaché à son pays natal, lui consacrait une série d’ouvrages somptueux, illustrés par la photographie, le dessin et l’aquarelle et pour lesquels Madame de Flandreysy réunissait des documents à travers les musées de Provence, de France et même de l’étranger. De mon Ecole Normale assez mélancolique, je me trouvais donc porté en pleine effervescence provençale, en pénétrant dans ce milieu, où j’avais beaucoup à apprendre. Mme de Flandreysy, en effet, fille de M. Etienne Mellier, archiviste-bibliothécaire de la Société d’archéologie de la Drôme avait une véritable hérédité de chercheuse intellectuelle, une intelligence très vive, un goût exquis et un courage opiniâtre à la tâche. Poète elle-même, elle écrivait de fort jolis vers qu’elle a réunis trop tardivement au gré de ses amis, auxquels elle a pensé toujours plus qu’à elle-même. Ce n’est qu’après la guerre de 1914-1918 que je renouais cette amitié, qui ne devait plus subir d’éclipse. Madame de Flandreysy y avait acquis en 1917 l’hôtel des Baroncelli en Avignon, elle avait entrepris de restaurer cette admirable maison, d’y loger les collections iconographiques et les archives qu’après 15 ans de collaboration avec Jules Charles-Roux, qui venait de mourir en 1917, restaient sa propriété, de leur donner un cadre digne d’elles et d’y recevoir toute l’élite intellectuelle, qui s’intéressait à la Provence, au Félibrige, à Dante, à Pétrarque, aux Papes d’Avignon, à la Gaule romaine, à tout ce qui devait faire du Palais du Roure (ainsi s’appelait couramment l’hôtel des Baroncelli), en 25 ans de travail un foyer lumineux de mistralisme et de Latinité.
En vérité Jeanne de Flandreysy est entrée au Roure, comme on entre en religion et quand on pense à elle on répète ces beaux vers que Le Cardonnel appliquait à une autre grande dame lettrée : « Vous évoquez aux jours de l’Italie ancienne, Or, venue à peu près au bout de sa tâche, elle a offert son œuvre à la ville d’Avignon. Poète pour avoir écrit quelques vers élégants et nobles, Mme de Flandreysy l’a été plus encore et surtout pour avoir dressé devant nous ce poème de pierre, plein d’évocations nobles et charmantes, tout bruissant de ces cloches qu’elle a tant aimées et si pieusement assemblées, tout illuminé de souvenirs provençaux. Louis Le Cardonnel lui disait plaisamment « Vous êtes l’archiviste de l’Eternité ». Dans sa jeunesse Mistral l’avait chantée dans ce quatrain vraiment flatteur :
Enfin par delà tous les hommages amicaux, Folco de Baroncelli lui avait dédié dès ses premiers pas en Camargue un fougueux poème, où se marquait bien la violence et l’ardeur de ses sentiments, qui ne devaient pas se démentir pendant 40 années
|
Jeanne de Flandreysy : Femme de lettres, se passionne avec son père, Étienne Mellier, pour l’Histoire et les Arts. Elle racheta en 1918 le Palais du Roure (d’Avignon)à la famille Baroncelli pour y établir un foyer de culture méditerranéenne.